Niki : Bonjour bonjour à toutes et à tous ! Bienvenue sur la chaîne Twitch de Ludistart je m'appelle Niki. Vous m'avez peut-être déjà vu dans des films tels que « 10 conseils sur le jeu vidéo en bibliothèque », c'est un classique que vous pouvez trouver sur notre chaîne YouTube. Je suis en compagnie de Florence Houisse, bonjour Florence.
Florence : Bonjour à toutes et tous.
Niki : Qui est donc avocate de profession, c'est notre intervenante du jour avec qui on va parler de la législation, on va parler du droit du jeu vidéo en bibliothèque. C'est un sujet qui fait beaucoup parler. On entend beaucoup de choses sur ce sujet chez les bibliothécaires. C'est un sujet qui fait peur aussi ! Moi j'ai plusieurs fois entendu des bibliothécaires dire que leurs élus ne voulaient pas d'un fonds jeu vidéo parce que le droit n'est pas clair, qu'ils veulent éviter un procès. On a aussi eu des agents qui nous contactent (l'asso) pour nous demander des argumentaires sur ce sujet pour convaincre leurs élus. Bref, c'est un sujet sur lequel on entend pas mal de choses, parmi lesquelles un peu en vrac « c'est illégal mais le CD aussi, alors c'est ok ». On entend des choses comme « le prêt c'est interdit mais le jeu sur place ça va », « il y a des fournisseurs qui vendent des droits de prêt et de consultation donc, partir du moment où on passe par eux, on est tranquille » et enfin mon préféré « il y a un flou juridique ». Ça c'est vraiment l'expression qu'on entend le plus, qu'on voit le plus : « il y a un flou juridique donc voilà, on est tranquille ». Donc voilà, flou juridique, les droits de prêt, de consultation : illégal ? Légal ? Mais du coup comment on fait ? On va détricoter tout ça grâce Florence.
Mais avant de te laisser de te présenter Florence, je profite de cette introduction pour présenter très rapidement l'association Ludistart, vraiment en trois bullet points parce qu'on a un temps limité. Donc Ludistart, c'est une association de médiation culturelle jeu vidéo. On intervient auprès de toute structure culturelle mais principalement auprès des médiathèques, médiathèques départementales, ça nous arrive d'intervenir auprès de musées, auprès de salles d'exposition, etc, mais c'est assez anecdotique, c'est vraiment 80 % des médiathèques. Enfin, 3ème point, faites un tour sur notre site ludistart.fr, c'est là que vous trouverez toutes les informations, y compris notre catalogue de formations, de conférences, d'expositions, etc. Si je dois ajouter un 4ème point, ce serait qu'on crée des ressources aussi, comme celle-ci. Notre échange là tout de suite avec Florence, cette rencontre avec une professionnelle du droit qui va nous éclairer sur la législation du jeu vidéo en médiathèque.
Florence c'est ton moment ! Est-ce que tu peux te présenter ?
Florence : Oui bien sûr, merci Niki pour cette introduction. Je suis ravie d'être avec vous aujourd'hui. Quelques précisions me concernant, je suis avocate depuis plus de 10 ans au barreau de Paris. Je suis associée du Cabinet Kern & Weyl, qui est un cabinet spécialisé en propriété intellectuelle, et je consacre une très très large partie de mon activité à l'accompagnement des acteurs de l'industrie du jeu vidéo, aussi bien des éditeurs que des studios, des distributeurs ou autres prestataires de services de l'industrie. Bref, j'ai un accompagnement très large dans ce secteur et par ailleurs j'interviens en tant qu'experte au syndicat national du jeu vidéo et chez Push Start, l'incubateur jeux vidéo d'Occitanie.
Niki : On peut enchaîner sur quelques grandes notions de droit sur la propriété intellectuelle, les grandes notions de la propriété intellectuelle, des concepts, des vérités générales... Est-ce que tu peux nous faire un micro-cours, très très très résumé, mais juste pour avoir quand même quelques notions et savoir un petit peu de quoi on parle ?
Florence : Ouais un micro-cours d'une minute. (Rires) Alors, le droit de la propriété intellectuelle est décomposé en plusieurs branches, dont le droit d'auteur qui est le droit qui aujourd'hui va nous intéresser plus particulièrement. Pour faire simple, le droit d'auteur c'est un droit qui va s'appliquer toute œuvre de l'esprit, qui va permettre de protéger toute œuvre de l'esprit, dont les jeux vidéo font partie, c'est largement reconnu par la jurisprudence aujourd'hui. Et au titre de ces droits d'auteur, les titulaires de droit vont avoir un certain nombre de prérogatives de droit liées au fait qu'ils soient propriétaires de ces droits. Dans l'industrie du jeu vidéo ces droits d'auteur sont détenus soit par les studios de jeux, soit selon les cas, par leurs éditeurs.
On va avoir deux catégories de droits d'auteur. Ceux qu'on appelle les droits patrimoniaux, qui correspondent aux droits d'exploitation. Donc tous les droits qui vont nous permettre d'exploiter commercialement ou à titre gratuit, mais en tous les cas d'utiliser dans la vie de tous les jours un jeu vidéo. Et le droit moral, qui lui est un peu un garde-fou pour venir protéger l'auteur durant toute la vie de l'œuvre, pour s'assurer que son nom soit bien toujours associé à son œuvre, que son œuvre soit bien toujours respectée, qu'elle ne soit pas détruite, qu'elle ne fasse pas l'objet d'utilisation dégradante, etc, etc.
Ce qui nous intéresse particulièrement aujourd'hui ce sont ces droits patrimoniaux, donc ces droits d'exploitation, qui se décomposent en plusieurs droits, à savoir le droit de reproduction, c'est ce qui va nous permettre de faire des copies d'une œuvre, le droit de représentation, c'est ce qui va nous permettre de montrer une œuvre au public (par exemple d'en faire une projection), ou le droit d'adaptation qui va nous permettre de faire des œuvres dérivées mais pas seulement, c'est aussi ce qui va nous permettre de modifier une œuvre à des fins techniques, pour s'assurer de sa compatibilité certains supports d'exploitation etc. Les droits d'adaptation c'est principalement important pour pouvoir créer et distribuer des produits de merchandising ou tout simplement développer des sequels, prequels ou même ensuite décliner le jeu en une œuvre audiovisuelle, etc.
L'exploitation des droits patrimoniaux, vu que c'est ce qui va permettre de générer de l'argent, toutes les utilisations liées ces droits patrimoniaux vont être soumises à une autorisation, ce qu'on appelle une autorisation expresse. Donc c'est vraiment une autorisation en bonne et due forme, de l'auteur ou du titulaire des droits d'auteur. La manière dont cette autorisation doit être donnée est strictement encadrée par la loi. Le principe c'est que si cette autorisation était requise et qu'elle n'a pas été donnée, et bien c'est une utilisation non autorisée qui va faire l'objet de sanction.
Donc grosso modo, il faut retenir qu'en matière de jeux vidéo, toute utilisation d'un jeu qu'elle soit en intégralité ou par extrait va être soumise l'autorisation principale soit du studio, soit de l'éditeur et que à défaut de cette autorisation le studio, ou l'éditeur selon les cas, va pouvoir s'opposer à une telle utilisation.
Niki : Ok, ça c'est un concept qui est commun tout, dans le livre, la musique etc, on est d'accord ?
Florence : Oui, c'est la règle applicable pour toute œuvre de l'esprit.
Niki : C'est un truc, je pense, assez largement connu, l'idée que les œuvres sont protégées par le droit d'auteur et qu'on ne peut pas en faire ce qu'on veut, c'est aussi le cas du jeu vidéo. Donc à la question «est-ce qu'il y a un flou juridique ? » la réponse est...
Florence : (Rires)La réponse est non.
Niki : La réponse est non, d'accord. (Rires)
Florence : Oui effectivement c'est une idée qui est très répandue, tu l'as dit en introduction. En réalité, il n'y a pas tellement de flou juridique sur l'utilisation des jeux vidéo en médiathèque, il a plus un défaut de structuration de l'industrie qui rend ces utilisations difficiles. Mais il n'y a pas de flou juridique dans la mesure où comme je te l'ai dit, le jeu vidéo est une œuvre de l'esprit. C'est protégé par un droit d'auteur et donc il faut se plier aux règles prévues par le code de la propriété intellectuelle.
Alors c'est vrai, la loi ne prévoit pas de régime spécifique sur le droit de prêt et de consultation pour le jeu vidéo, alors même que ça existe par exemple pour le livre. Mais c'est pas parce que c'est pas prévu par la loi que ça veut dire que tout est libre ou qu'il y a un vide. Non, ça a seulement pour conséquence qu'on doit uniquement se référer aux règles générales du droit d'auteur et donc à ce principe systématique d'obtention d'autorisation.
Après, il faut savoir que le droit d'auteur connaît un certain nombre d'exceptions. Il y a des exceptions qui sont très connues, par exemple celle de la parodie ou celle de courte citation. Il y a des exceptions qui visent les bibliothèques mais qui sont une exception qui va permettre la reproduction et la représentation d'une œuvre uniquement à des fins de conservation ou pour permettre la consultation d'une œuvre à des fins de recherche ou d'études privées. Donc c'est vraiment ces deux actes là qui sont dispensés d'autorisation, or dans notre cas de figure, ce qui nous intéresse nous, c'est un droit de prêt. Donc vraiment, le fait de pouvoir prêter pour une utilisation privée dans un cercle de famille ou un droit de consultation sur place, c'est des hypothèses qui sont complètement différentes puisqu'en réalité le jeu va être prêté ou mis à disposition plus dans un but culturel ou de divertissement, mais pas à ces fins de conservation ou de recherche.
Niki : Oui, alors je suis pas assez expert en Bibliothèque Nationale de France, mais je crois que c'est vraiment la BNF qui a ce rôle de conservation et de recherche sur le jeu vidéo.
Florence : De conservation oui.
Niki : Mais c'est vrai que pour le coup, moi je suis tout à fait inculte sur cette question là et on sort un peu du cadre qu'on s'était fourni, mais je serais curieux de savoir si n'importe quelle bibliothèque peut créer un fonds et se dire que c'est à des fins de conservation. Mais pas utiliser ça comme excuse hein, vraiment faire un fonds lié la conservation. J'avoue que là c'est un truc qui me dépasse un peu.
J'en profite pour dire bonjour à toutes les personnes dans le chat qui nous ont rejoint, qui nous disent bonjour. On nous pose déjà une question sur les prestataires vendant des droits de prêt au même titre que les DVD. Ça parle déjà de fraude... (Rires)
Florence : (Rires)
Niki : Tout ça on va en parler, on se le garde pour un petit peu après. Mais ouais, c'est un vrai sujet.
Niki : Tu as évoqué le prêt à des fins de consultation, à des fins culturelles, mais est-ce que la consultation sur place est plus souple ? Est-ce que vu que c'est un autre usage, vu que ça reste au sein de l'établissement, que c'est gratuit etc, est-ce qu'on peut différencier les deux ou est-ce que c'est pareil ?
Florence : La consultation sur place c'est vraiment un acte qui va rentrer dans le droit de représentation. C'est pas une projection en tant que telle mais c'est vraiment un acte de mise disposition au public, c'est un acte de diffusion donc ça rentre dans les prérogatives de l'auteur ou de son ayant droit, le titulaire de droit.
Niki : C'est tout pareil, il faut une autorisation. Même question, j'en profite parce qu'en fait je sais qu'il y a tout un batch là de trois quatre questions qui ont la même réponse. En fait je spoil.
Florence : (Rires)
Niki : Quid des animations, donc un usage ponctuel et pas laisser en libre accès ? Si on fait un tournoi d'un jeu une fois dans l'année, un truc sur 2 heures, mais qu'après le jeu n'est pas laissé en libre accès, etc, le reste de l'année, est-ce que...
Florence : C'est pareil. (Rires)
Niki : Pareil ! (Rires)
Florence : Dans tous les cas on va rentrer dans les prérogatives de l'auteur. En fait grosso modo le code de la propriété intellectuelle vise vraiment tout acte de reproduction ou de représentation en tout ou partie. On se moque de savoir si l'utilisation est faite à titre gratuit ou à titre payant, on se moque de savoir si c'est une utilisation en one shot ou si c'est quelque chose de récurrent. Le droit d'auteur est vraiment très protecteur justement, le droit d'auteur français est très protecteur de l'utilisation des droits que l'auteur va avoir sur son œuvre.
Niki : Ok. On nous demande si du coup un streameur tombe dans les mêmes écueils. Est-ce que ça veut dire qu'un streameur, pareil qui n'a pas l'autorisation de l'ayant droit, est dans l'illégalité ?
Florence : Tout fait, c'est une pratique qui est très répandue dans l'industrie. (Rires)
Niki : Les streameurs en prison, allez hop !
Florence : Voilà ! Non. Mais c'est une pratique qui est très répandue dans l'industrie du jeu vidéo. La théorie c'est qu'effectivement le fait de streamer une partie de jeu devrait être autorisé, dans la majorité des cas par l'éditeur, mais en cas de self publishing, par le studio. Dans la très grande majorité des cas, il n'y a pas d'autorisation. Alors je parle du cas de figure d'un streameur qui évidemment n'a pas un contrat d'influence avec un éditeur et qui n'est pas spécifiquement mandaté pour le faire. Mais sinon, filmer sa partie de jeu et la commenter, oui ça rentre complètement dans les prérogatives du titulaire de droit et ça devrait être autorisé. Après, un peu au même titre que ce dont on parle aujourd'hui avec l'utilisation du jeux vidéo dans les médiathèques, en réalité là aussi on retrouve une forme d'usage, une forme de tolérance de la part des éditeurs. Pour des raisons qui sont diverses et variées mais déjà c'est un moyen de faire parler du jeu, donc si la manière dont le jeu est streamé est complètement ok en terme d'image du jeu ou de l'éditeur, il y a pas tellement de raison que l'éditeur s'y oppose. Et puis il faut toujours ménager sa communauté et interdire une partie streamée potentiellement il y a un bad buzz qui attend l'éditeur derrière donc pour ces raisons-là, et pour d'autres raisons, il y a une forme de laissez-faire qui s'est installé.
Niki : On va en parler justement de ce laissez-faire. On m'envoie un lien du coup là, c'est un truc lié au ministère de l'intérieur sur l'organisation de compétition de jeux vidéo.
Florence : Esport.
Niki : Oui, je ne suis pas sûr du discours que la personne sous-entend en envoyant ce lien, mais en gros si c'est bien ce que je pense, il s'agit d'un formulaire impliquant l'obligation de déclaration des compétitions auprès du ministère de l'intérieur dans certains contextes, notamment s'il y a des cash prize supérieurs à tant, etc.
Florence : C'est ça.
Niki : Mais c'est pas du tout lié à des autorisations ou quoi que ce soit de l'ayant droit. Le ministère, lui, se fiche que vous ayez le droit ou pas. Enfin il se fiche... Façon de parler. Disons que ça ne le concerne pas en l'occurrence. C'est plutôt, si vous organisez un tournoi esport, il faut le déclarer au ministère, ou en préfecture, ou je ne sais quoi. C'est décorrélé de la notion de droit d'auteur. Mais n'hésitez pas à développer au besoin.
Il y a d'autres questions dans le chat : « bibliothécaires, nous proposons du jeu vidéo pour public empêché, donc pour aveugle, pour personnes handicapées, avec des manettes adaptées, etc. Donc ça entre dans une mission de service public, est-ce que ça permet de justifier une utilisation gratuite du jeu vidéo ? »
Florence : Une « utilisation gratuite » en réalité je comprends une utilisation non autorisée. Parce que l'utilisation peut être autorisée mais gratuite.
Niki : Alors il se trouve qu'en fait l'utilisation est gratuite, mais en gros est-ce que ça rend la chose légale d'intégrer ça dans une démarche d'accessibilité ?
Florence : À ma connaissance, ça ne rentre pas dans les exceptions qui sont prévues par l'article du code de la propriété intellectuelle qui liste de manière exhaustive les exceptions. C'est l'article 122-5, il faudrait le reconsulter, j'avoue que j'ai jamais eu cette question là et du coup ma réponse est la suivante : soit c'est prévu expressément par cet article et du coup c'est une exception, il y a pas besoin d'avoir une autorisation, soit ce n'est pas prévu, il faut une autorisation. Je comprends très bien pourquoi effectivement, on pourrait imaginer qu'il y a une exception au droit d'auteur, mais je ne suis pas certaine que ce soit le cas.
Niki : Après peut-être qu'on aborde là un droit assez spécifique lié au service public et l'accessibilité. Pour moi c'est trop pointu, je n'ai pas ces infos-là.
Florence : En tous les cas, les exceptions au droit d'auteur, quelles qu'elles soient et de quelque origine qu'elles soient, sont toutes spécifiquement visées dans le code de la propriété intellectuelle et il n'y en a pas une de plus ailleurs.
Niki : Dernière question sur les différents usages qu'on peut avoir en médiathèque. Donc on a parlé du prêt, on a parlé de la consultation sur place, on a parlé de faire des animations. Qu'en est-il des jeux gratuits ? Les free-to-play, les jeux offerts, par exemple sur l'Epic Games Store. À partir du moment où le jeu est lui-même gratuit, on peut se dire « bon bah du coup si c'est gratuit c'est qu'il est fait pour être diffusé au plus grand nombre donc c'est bon, on a le droit » !
Florence : Non. (Rires)
Niki : (Rires) Non, pas plus ? Ok.
Florence : Non pas plus. (Rires) Non non, et vraiment parce qu'encore une fois le principe du droit d'auteur c'est de protéger toute œuvre de l'esprit dans son esprit le plus pur, c'est-à-dire sans avoir en tête la notion de commercialisation de l'œuvre. Donc en réalité peu importe que l'utilisation non autorisée se fasse, c'est ce que je te disais tout l'heure, contre une rémunération ou non. Ça reste une utilisation non autorisée qui aurait dû l'être par son auteur. Grosso modo c'est toujours l'auteur qui doit dire si oui ou non il est d'accord pour que ce soit utilisé.
Niki : Tout ça, ça concerne le droit français. Comment ça se passe si on parle de jeux américains, japonais, chinois où leurs lois locales sur le droit d'auteur sont différentes ? Dans tous les cas, c'est le droit français qui s'applique ?
Florence : Alors en fait, la réponse est assez simple. En réalité, l'utilisation qui est faite par les médiathèques françaises est faite en France, sur le territoire français. Donc tout auteur, peu importe sa nationalité, dès l'instant que son pays d'origine est signataire d'un texte qui est la Convention de Berne, va pouvoir agir en France. Donc prenons l'exemple d'un éditeur américain par exemple, où une médiathèque utiliserait son jeu pour faire des animations, et pour une raison X ou Y cette fois il souhaiterait mettre en demeure ou agir contre la médiathèque. En réalité, il serait soumis au droit français. Donc on retomberait sur ces règles du droit d'auteur que je vous ai indiquées.
En revanche, ce qui est certain c'est que tout éditeur est nécessairement influé par sa culture juridique d'origine et qu'on a d'autres droits d'auteur, notamment je pense au copyright qui va être le droit d'auteur applicable aux États-Unis, qui a une vision beaucoup plus souple de ce type d'utilisation là. Ce qui veut dire que pour certains opérateurs étrangers ça peut apparaître comme des utilisations qui sont assez naturelles, parce que dans leurs droits propres il n'y a pas matière à débat sur ce point-là. Et à l'inverse, comme nous en France c'est très clair qu'il faut une autorisation et que c'est dans la culture de cet opérateur-là d'agir, on va pouvoir avoir des différences de personnalité on va dire, qui vont faire qu'ils vont agir plus ou moins. Mais en tous les cas ils seront soumis au droit français.
Niki : Ouais ok, donc c'est le droit français qui s'applique mais comme tu dis, c'est typiquement une situation où on a un peu moins de risque on va dire, d'avoir un retour de bâton. Je prends l'exemple d'une exposition qu'on a conçue avec l'asso, on est allé chercher les droits d'usage de visuels, de screenshots de jeux pour les mettre dans notre expo, tous les éditeurs américains qu'on a contacté nous ont dit « oui allez-y pour nous ça rentre dans le cadre du fair use ». Donc eux en fait ne se posent pas la question, pour eux c'est « oui, on comprend même pas pourquoi vous nous posez la question ». C'était vraiment ça la réponse, mais en fait on leur pose la question parce qu'on est en France, et l'expo elle est en France, et que le droit français veut qu'on ait l'autorisation. Mais pour eux effectivement c'est pas un sujet.
Florence : Nous on n‘a pas d'équivalent du fair use oui.
Niki : Le fait qu'il n'y ait pas de société de gestion de droit d'auteur, c'est comme ça que ça s'appelle, je ne me trompe pas ?
Florence : Ouais, c'est des organismes de gestion collective.
Niki : Donc ça existe pour la musique, c'est la SACEM.
Florence : Ça existe pour la musique, pour certains types d'usages oui.
Niki : Ça existe dans le livre, il y a la SOFIA. Ça existe pour tout ce qui est films, documentaires, etc. Mais ça n'existe pas pour le jeu vidéo. Donc tu as déjà répondu en fait tout l'heure, mais le fait que ça n'existe pas ça n'implique pas qu'on peut faire ce qu'on veut, ça implique juste que par défaut on revient à la base commune quoi.
Florence : Ouais voilà c'est ça, à la règle de base. En fait c'est juste que le secteur, mais c'est ce que pointent toutes les bibliothèques médiathèque, le secteur est pas suffisamment organisé et du coup ne peut pas se retourner vers un organisme de gestion collective qui aurait pour rôle de permettre de centraliser les demandes d'autorisation auprès d'un seul et même organisme. Mais dans la mesure où pour l'instant ça n'existe pas, on se retrouve dans la situation où on a besoin d'aller chercher les autorisations auprès des ayants droit. Donc soit les studios, soit les éditeurs.
Niki : On dit que « Ubisoft propose des jeux gratuitement pour les médiathèques dans le cadre de son programme Play to Learn, donc ça on peut ? » A priori, si c'est explicite...
Florence : Disons qu'il faut de toute manière, et c'est pareil avec la question des revendeurs sur catalogue qu'on va aborder ensuite, mais effectivement il y a le principe juridique, il y a les exceptions que je vous ai donné, le fait qu'on ne rentre pas dans un cas exception, et après les éditeurs eux-mêmes donc soit en théorie donnent des autorisations au cas par cas (on leur fait la demande et au cas par cas ils autorisent) ou alors ils sont complètement libres de décider par eux-mêmes que certains jeux vont pouvoir être utilisés, typiquement par des médiathèques et à titre gratuit. Donc c'est possible, visiblement c'est le cas d'Ubisoft.
Ce qu'il faut systématiquement c'est quand même bien prendre connaissance des conditions générales de vente ou d'utilisation, vérifier quels sont les droits qui sont expressément visés par cette autorisation. Parce qu'on peut imaginer par exemple que la consultation sur place va être possible mais pas le prêt. Donc il faut systématiquement aller regarder pour s'assurer que l'ensemble des utilisations qu'on veut faire va se faire en conformité avec l'autorisation obtenue.
Niki : Les fournisseurs, c'est un des gros sujets, tu les as évoqué. Donc il y a des structures qui fournissent les médiathèques en notamment DVD, Blu-ray, bref tout ce qui va être consultation de films, documentaires, séries, etc. Certaines de ces structures vendent aussi des jeux vidéos, en indiquant que ces jeux ont des droits négociés spécifiquement pour les médiathèques, enfin en tout cas spécifiquement pour ce type d'usage. Donc des droits de consultation sur place et ou droit de prêt. Est-ce tu veux te lancer là-dessus direct ? (Rires)
Je peux m'avancer un peu plus, notamment sur le fait que c'est quelque chose qui est pas mal contesté pour différentes raisons. Certains établissements, certaines collectivités se disent « bon bah il y a eux donc on passe par eux, comme ça on se dédouane de tout souci potentiel », d'autres disent « non mais en fait il y a rien qui nous prouve que c'est vraiment vrai donc on passe par d'autres fournisseurs »... Enfin voilà, je ne sais pas quelle est ta position sur ça.
Florence : Ouais effectivement c'était un gros sujet quand on a préparé live Twitch. (Rires) En fait, il y a une réponse très théorique et une réponse un peu plus pragmatique. La réponse très théorique c'est que dans l'idée ces sociétés, enfin ces fournisseurs, qui disposent d'un catalogue dont un catalogue jeux vidéo, ben ça apparaît comme étant la solution à l'absence de société de gestion collective par exemple. Parce que si elles ont bien tous les droits qu'elles sont supposées avoir, ça facilite grandement la vie des médiathèques. Donc en théorie passer par un revendeur c'est une bonne option, sous réserve que ce revendeur soit vraiment autorisé et que s'il est autorisé, il dispose bien de l'ensemble des droits dont vous avez besoin pour les utilisations que vous envisagez. Donc pour ça, il faut être sûr que ce fournisseur s'est acquitté de ces droits locatifs auprès des éditeurs.
En gros il faut s'assurer que ces fournisseurs sont bien autorisés à revendre les jeux sur le marché locatif et institutionnel. Pour ça on a un certain nombre de fournisseurs en tête. L'ensemble des fournisseurs doivent fournir des conditions générales de vente ou des conditions générales d'utilisation, enfin bref mais en tous les cas un contrat qui va déterminer de manière très précise les droits qui vous sont donnés, ainsi que les garanties qui vous sont données et certaines exclusions éventuelles de responsabilité.
Mon conseil ce serait quand vous avez un doute sur un fournisseur, parce qu'il est vrai que je sais qu'il y a certains opérateurs qui sont remis en question, qu'il a été question également que certains opérateurs se soient fournis directement auprès de la grande distribution et pas en réalité auprès des éditeurs, je sais que ça existe. Donc ma reco ce serait de garder quand même en tête que visiblement tout n'est pas toujours 100 % clean, d'être vigilant et de bien vérifier avant de passer commande les conditions générales de vente. Donc de vérifier ses garanties, ses limitations de responsabilité et notamment au titre des garanties données il doit y avoir une mention comme quoi le fournisseur garantit qu'il détient bien l'ensemble des droits lui permettant de conclure ce contrat. Parce qu'en réalité là il va y avoir une chaîne de droit qui doit être vérifiée, donc de l'éditeur au fournisseur jusqu'à la médiathèque, et il doit garantir cette chaîne des droits. Qu'il est bien titulaire, de par l'éditeur, des droits dont on a besoin et qu'il est aussi autorisé à faire circuler ces droits auprès de la médiathèque.
Et de la même manière, il faut s'assurer que dans les exclusions de responsabilité il n'y a pas une exclusion de responsabilité dans le cas où l'éditeur viendrait se retourner contre la médiathèque. Parce que là ça voudrait dire de manière très claire qu'ils ont pas nécessairement les droits ou en tous les cas qu'ils se déresponsabilisent complètement en cas de sujet de ce type-là.
Ce qu'il est aussi possible de faire c'est de demander la communication du contrat conclu entre l'éditeur et le revendeur. Alors il y a nécessairement des données confidentielles mais on pourrait très bien imaginer une version caviardée ou un document spécifiquement prévu pour pouvoir être communiqué justement aux médiathèques. Mais il est certain qu'il y a ce double problème, c'est-à-dire que d'une part, dans certains cas les droits ont vraiment été acquis mais sont incomplets, donc vous allez avoir la consultation sur place mais pas le droit de prêt qui est plus large en terme d'autorisation, ou alors ces fournisseurs vont carrément pas être en mesure de présenter ces documents. Moi ce que je dirais aux établissements c'est si vous souhaitez acheter un jeu auprès d'un fournisseur de ce type, il faut faire ces vérifications préalables.
C'est mon conseil d'avocat : il vous faut une autorisation pour exploiter en médiathèque. Donc si vous avez un fournisseur qui vous donne en apparence toutes les garanties qu'il a bien tous les droits nécessaires, vous ça veut dire que vous obtenez ces droits d'un fournisseur qui vous a donné toutes les garanties qu'il les avait bien et qu'il pouvait bien vous les donner. Donc ça reste le moyen le plus simple de s'approvisionner et si jamais il s'avérait que c'était une fraude ben en réalité les médiathèques en seraient tout autant victimes, donc elles pourraient se retourner contre ces fournisseurs pour éviter d'être les seules responsables vis-à-vis de l'éditeur. Mais j'entends que la situation n'est pas satisfaisante.
Niki : Comme on disait, là toi tu te places dans la situation de l'avocate côté collectivité.
Florence : Oui.
Niki : Imaginons, tu es là pour conseiller une collectivité, ton conseil c'est si un fournisseur propose visiblement toutes les garanties, que tout est fait dans les règles de l'art, il n'y a pas de raison de ne pas passer par eux.
Florence : Oui. Mais dans la mesure où effectivement, c'est une réalité, parce qu'il y a des décisions de justice sur ce sujet, donc dans la mesure où il y a visiblement des cas de fraude, il faut être très vigilant et donc la check list à remplir est assez sévère. Faut plus regarder que dans d'autres cas de figures.
Niki : Oui, du coup on nous pose effectivement la question dans le chat, s'il y a déjà eu des plaintes ou des cas de fraude avérée.
Florence : Justement pour préparer ce live Twitch j'avais effectué une recherche de jurisprudence et oui, il y a déjà eu des affaires mais qui sont pas tranchées encore de manière définitive, ou en tous les cas on n'a pas d'information sur la solution finale. Mais il y a déjà eu des cas, alors pas de médiathèques qui agissent mais d'autres établissements qui s'approvisionnent auprès de fournisseurs et où en réalité il semble que, mais je prends des pincettes, mais il semble que l'approvisionnement s'est fait directement auprès de la grande distribution et pas auprès des éditeurs. En fait il n'y aurait jamais eu d'acquisition des droits, donc oui ça existe, enfin ça semble exister. D'où la grande vigilance !
Niki : Si on ajoute à ça le refus manifeste de... Enfin là, je transmets des témoignages de bibliothécaires qui ont demandé justement des justificatifs comme tu l'as évoqué et qui n'en ont pas obtenu, le fait que — là je vais parler pour ma part, à toi de voir à quel point tu veux t'engager là-dessus — moi travaillant aussi côté industrie du jeu vidéo depuis des années, c'est un sujet que j'ai abordé avec un paquet d'ayants droit et tous m'ont dit qu'a priori il n'y avait pas de souci de leur côté à ce que les jeux vidéo soient disponibles en médiathèque. En fait il y a un peu un côté « au pire on s'en fiche c'est pas un sujet, au mieux c'est super continuez ». J'ai un moyen/gros éditeur français qui m'a dit il y a encore quelques mois par mail, « non non mais nous on est très contents, on soutient si nos jeux sont en médiathèque, c'est super, il y a pas de problème et on viendra jamais embêter qui que ce soit là-dessus ». Donc en gros il y a un paquet d'ayants droit qui ne réclament pas de rémunération, qui sont tout à fait d'accord à ce que ça se fasse comme ça se fait actuellement. Quand je parle de certains des fournisseurs dont on parle, qui indiquent vendre des droits de prêt et de consultation sur place, ce sont des fournisseurs qui, en tout cas auprès des ayants droit avec lesquels moi j'ai discuté, sont inconnus au bataillon. J'en ai discuté avec différents éditeurs, différents studios, personne ne les connaît. Donc il y a un peu un espèce de faisceau d'indice qui va dans le sens de : ces structures là a priori n'ont rien négocié. Alors je dis ça, c'est pas le cas de toutes, je ne peux pas affirmer là comme ça que c'est une vérité immuable et que c'est le cas de tous les fournisseurs etc, effectivement il faut prendre des pincettes, mais moi en tout cas je parle en mon nom : oui clairement, je peux difficilement encourager à aller se fournir chez ces fournisseurs là.
Est-ce que toi tu veux ajouter des choses sur ce sujet ? Est-ce que tu as eu des échos d'autres ayants droit justement, de studios ou d'éditeurs avec qui tu travailles ?
Florence : Oui ben justement j'en ai discuté avec un certain nombre dans le cadre de la préparation du live Twitch pour vous, pour en savoir un peu plus. Il faut avoir quand même en tête qu'il n'y a pas que l'utilisation du jeu vidéo en médiathèque qui manque de structure dans l'industrie du jeu vidéo. (Rires) Et les opérateurs eux-mêmes ne sont pas tous équipés en interne en département juridique, ou quand ils le sont le département juridique va gérer la majorité des sujets juridiques mais il y en a encore pas mal qui passent complètement sous le radar. Donc tout ça pour dire que de mes discussions avec et des juristes, et des opérationnels personne ne connaît ces fournisseurs. Mais d'une manière générale, peu ont été véritablement interrogés sur la question de savoir si l'utilisation en médiathèque d'un jeu devait ou non être autorisée.
En fait c'est vraiment une problématique un peu comme les streameurs, c'est que finalement l'enjeu financier pour les éditeurs il est très faible, ça permet au rayonnement du jeu qu'il fasse partie d'un catalogue, d'un fonds jeux vidéo d'une médiathèque et du coup c'est ce qui entretient l'usage et cette tolérance qu'on observe. Sauf raison bien spécifique, les éditeurs ou les studios n'ont pas tellement d'intérêt économique ou même business à s'y opposer. Et donc en réalité je pense que quand les demandes sont faites auprès d'éditeurs, elles n'arrivent pas nécessairement au service juridique. Il doit y en avoir qui font l'objet du simple, ce que tu as indiqué hein, d'un retour de mail en disant « bah c'est super nous on soutient », mais tout ça n'est pas tellement formalisé.
Niki : Dans le chat on se plaint des tarifs que proposent ces fournisseurs qui sont très élevés, trop élevés, mais parce qu'en théorie ils compensent un droit de prêt de consultation mais dont en fait on a de gros gros doutes sur la véracité.
Florence : Après si on part du principe qu'un revendeur est dûment autorisé, donc qu'il a bien toutes les autorisations nécessaires pour lui ensuite revendre un jeu, avec ces droits là, le principe des droits d'exploitation en matière de droit d'auteur c'est que l'exploitation doit être rémunérée. Donc c'est normal qu'il y ait un surcoût lié au droit de prêt et à la consultation sur place.
Niki : Oui, comme c'est déjà le cas pour les DVD en fait. Les DVD sont plus chers chez ces revendeurs et pour le coup je l'entends. Moi c'est pas tant le tarif qui me choque, mais on n'est pas du tout certain, du tout, du tout, que ce supplément tombe dans les bonnes poches.
Florence : Oui, ça j'ai bien compris.
Niki : On nous dit que c'est beaucoup plus cher que les achats de DVD avec ses revendeurs. Là j'avoue que je me suis pas amusé aller vérifier les catalogues mais ok, je te crois.
La comparaison avec la musique, le fait que les fonds musicaux soient soumis au prêt et la consultation sur place sans versement de droit et ce depuis des décennies, et sans problème visiblement. Il y a un peu l'idée que si c'est permis pour la musique, est-ce que... Ça rejoint la question de l'usage, vu que c'est comme ça depuis des années, pour la musique depuis je sais pas combien de temps, pour le jeu vidéo depuis peut-être 20 ans et qu'il n'y a pas de souci est-ce qu'on peut considérer que l'usage crée une situation plus sécure ?
Florence : En fait non, ce qu'on observe dans le cas de la musique, sa pratique n'est pas licite. Comme tu le dis c'est seulement un usage qui rejoint cette idée de : ça existe parce que c'est toléré. Mais ça veut pas dire que ça peut pas être contesté du jour au lendemain, et en fait ça va être toléré jusqu'à tant que ça ne le soit plus, mais il y a pas de renonciation à l'exercice d'un droit parce qu'on l'a toléré pendant un certain temps. Sauf dans les cas de prescription mais là c'est pas ça la question, là c'est vraiment le fait de : est-ce que le fait que cet usage existe massivement dans l'industrie et que ça concerne plein d'acteurs différents, est-ce que ça permet de créer un précédent suffisamment important pour finalement venir valider des autorisations ? Mais non, ce ne sera pas le cas.
En revanche, si on imagine un scénario catastrophe avec une assignation en justice et donc un contentieux, l'usage il va quand même nécessairement, enfin moi à mon sens, il doit être pris en compte par les juridictions. De la même manière que les difficultés rencontrées par les médiathèques doivent être prises en compte par les juridictions, parce qu'il y a une attitude de bonne foi avec une volonté de faire correctement les choses et en réalité c'est parce que l'industrie n'est pas du tout structurée et parce que souvent on n'obtient pas les réponses aux autorisations qu'on demande qu'on se retrouve dans une telle situation. Alors je dis pas évidemment que ça dédouane l'établissement, mais je n'imagine pas que ce ne soit pas du tout pris en compte dans le cadre de la décision à rendre.
Et l'autre point c'est que la pratique sectorielle va nécessairement finir, en tous les cas on peut espérer, par influencer nos législateurs qui peut-être un jour souhaiteront s'emparer du sujet et qui viendront observer justement ce qui se fait en pratique, les difficultés qui sont rencontrées, et là du coup la nécessité de venir encadrer ça au même titre que le livre.
Niki : Donc comme pour la musique, c'est toléré, mais comme pour la musique, à tout moment Sony, Universal ou je sais pas qui, peut venir toquer la porte et dire « bah en fait on conteste », mais si contestation il y a le fait que personne se soit manifesté depuis je sais pas moi, 30 ou 40 ans enfin j'en sais rien, a priori ça rentrerait très probablement en compte dans un éventuel procès ou je ne sais quoi.
Florence : En fait ça ne rentrerait pas en compte pour ce qui est de la qualification de l'acte, ce serait probablement toujours un acte de contrefaçon, mais ça viendrait rentrer en compte dans le préjudice subi et la réparation du préjudice subi. Et on aurait probablement des arguments à faire valoir pour que les montants de condamnation soient bien moins importants que ce qui est demandé.
Niki : Tu as utilisé un terme qui fait peur : condamnation. On peut enchaîner là-dessus. (Rires)
Florence : (Rires) Sur les risques ?
Niki : Oui, là aussi je pense qu'on va pouvoir scinder ça en deux volets, c'est-à-dire le risque théorique et le risque pratique. Pour l'instant c'est admis mais supposons que monsieur Electronic Arts ou madame Nintendo vient toquer à votre porte, comment ça se passe ? Qu'est-ce qui se passe ?
Florence : Alors comment ça se passe, effectivement on va rester sur le risque théorique dans un premier temps parce qu'il faut quand même que tout le monde l'ait en tête. Le risque théorique c'est que cette utilisation non autorisée est un acte de contrefaçon et du coup la contrefaçon en droit français ça peut donner lieu à des actions au civil mais également au pénal. C'est une spécificité pour la contrefaçon. Le risque théorique pour l'action civile ça démarre par l'envoi d'une mise en demeure faite par l'éditeur, dans le cas de l'éditeur, à l'établissement concerné. Je pense le plus probable que c'est une mise en demeure pour obtenir le retrait du jeu du fonds mais ça ne rend pas impossible selon les circonstances du cas d'espèce la demande de paiement de dommage intérêt. Et ça on pourrait l'imaginer, et on en avait longuement discuté, on peut imaginer par exemple des demandes de dommages et intérêts qui seront justifiés si l'utilisation qui a été faite du jeu vidéo a été faite dans des conditions susceptible d'atteindre la réputation de l'éditeur, ou susceptible de nuire à l'image du produit etc. Ou par exemple des tournois avec des cash prize qui ne seraient pas autorisés.
Ça c'est l'étape précontentieuse, donc avant toute action devant une juridiction, et ensuite le 2ème niveau c'est le cas d'une action injustice avec différents fondements juridiques. Le premier c'est la contrefaçon de droit d'auteur, mais on pourrait aussi imaginer d'autres fondements comme celui de la concurrence déloyale ou du parasitisme selon comment l'utilisation est faite par la médiathèque du jeu. Noter donc, et ça je l'ai déjà dit, que ces risques sont encourus même s'il y a pas d'avantage économique qui est perçue par la médiathèque. Et ce risque va être d'autant plus élevé si justement il y a une perception de revenu de la médiathèque du fait de l'utilisation de ces jeux. Ça, c'est le volet civil.
Le volet pénal, mais alors pour moi il serait vraiment dans des cas de figure très très spécifiques. La contrefaçon, théoriquement, peut donner lieu à des peines d'emprisonnement, des interdictions de gérance. Mais pour moi là on n'est pas dans le cadre d'une action pénale, on est principalement sur des risques au civil.
Est-ce que tu veux que j'enchaîne sur la pratique ou est-ce que tu as une question par rapport ça ?
Niki : Euh non, enfin la théorie, c'est la théorie dans les textes quoi. C'est ce qui n'est pas toujours appliqué, mais d'une manière générale en fait. Quel que soit le domaine de la loi j'ai l'impression que c'est quand même toujours une espèce de max tu vois, 14 milliards d'euros d'amende, oui bon... Dans les faits personne n'a jamais ça.
Florence : Oui mais c'est pour ça que je ne détaille pas la partie pénale. (Rires) Ça me semble vraiment très éloigné.
Niki : Un point sur lequel je voulais revenir, parce que c'est un truc dont on a beaucoup parlé en amont et on l'a très peu abordé là, c'est la question des dommages en gros fait à l'image de l'ayant droit. Tu vois où je veux en venir ?
Florence : Tu veux dire le type de préjudice ?
Niki : Oui préjudice merci, c'est ça le terme que je cherchais. On l'a assez peu abordé ici, c'est l'idée qu'un ayant droit a plus de chance de venir vous (les médiathèques) chercher si vous faites des choses avec leur jeu qui portent atteinte à leur image. C'est un peu ça l'idée ?
Florence : Théoriquement un titulaire qui agit en contrefaçon il va vouloir réparer ce qu'on appelle le préjudice économique, donc grosso modo récupérer tout l'argent qu'il a pas gagné du fait de la contrefaçon. Et il va vouloir réparer son préjudice moral, et donc le préjudice moral ça va être toute l'atteinte à son image ou à l'image de son œuvre, la notoriété de son produit, etc, etc. Moi, et c'est vrai que j'ai déjà eu un parti pris de sortie de la théorie, c'est que dans ce cas de figure le préjudice économique de l'éditeur ne me paraît pas... Il existe parce que effectivement toute personne qui consulte sur place ou qui emprunte est potentiellement un acheteur en moins, mais ça peut aussi être quelqu'un qui de toute manière n'aurait jamais acheté le jeu, n'aurait jamais eu l'idée d'y jouer. Mais bon, il n'empêche que le jeu doit normalement être mis dans le circuit contre une rémunération et c'est toujours une rémunération que l'éditeur perçoit pas. Mais ce risque économique, il est bien plus faible dans ce cas de figure que dans d'autres cas de figure que les éditeurs doivent gérer. C'est pour ça que je mets l'accent sur le préjudice d'image, et en même temps c'est quand même une utilisation assez noble que de permettre une utilisation en médiathèque, mais si cette utilisation là elle est faite dans des conditions dégradantes, oui là pour moi c'est ce qui viendrait légitimer l'action d'un éditeur. Ce serait le trigger qui viendrait vraiment faire qu'il agit au lieu de laisser faire.
Niki : Ok donc là on tombe vraiment plus dans le côté pratique. Qu'est-ce qui pourrait inciter un ayant droit, un éditeur, un studio venir à contester la présence de ses jeux en médiathèque ? Ce serait pas tant le manque à gagner, qui est a priori faible, qui est assez assez ridicule, qu'un usage problématique de son jeu et de son image, donc c'est vraiment sur ça qu'il faut faire attention.
Florence : Oui, si je mets ma casquette d'avocat éditeur, avocat studio, c'est ça que j'irais vérifier. Parce qu'une action en justice ça coûte toujours de l'argent, donc si le préjudice économique est faible on n'a pas tellement intérêt à agir, en revanche si on a une utilisation qui est vraiment faite... Bon ça devrait pas être le cas en médiathèque, parce qu'il y a d'autres garde-fous qui s'appliquent aux médiathèques mais admettons l'organisation d'un tournoi avec, je sais pas moi, un tournoi qui serait mal supervisé où il y aurait de la consommation excessive d'alcool, de cigarettes, ou même juste de stupéfiants, enfin bref des conditions qui seraient susceptibles d'avoir une association d'une utilisation du jeu à un comportement illicite, ben oui là il y a une atteinte possible à l'image et du coup ça je demanderais à ce que ce soit stoppé.
Niki : Et donc du coup si tu gardes cette casquette d'avocat des ayants droit, toi ta première démarche c'est quoi ? C'est un courrier, une mise en demeure ?
Florence : Oui, je regarderais aussi s'il y a des cash prize mais c'est pas du tout l'esprit d'une médiathèque. Mais c'est aussi un critère que je vais prendre en compte, c'est vérifier que l'utilisation faite en médiathèque est bien une utilisation de médiathèque grosso modo, et pas l'utilisation d'une salle d'arcade ou d'un tournoi esport quoi. Moi j'aurais une démarche de recherche d'une solution amiable en fait, d'envoyer une lettre pour obtenir le retrait et c'est tout. Mais encore une fois, si les conditions l'exigent il peut y avoir une action en justice.
Niki : Oui, mais là on tombe vraiment dans des cas abusés.
Florence : Qui ne sont pas ceux que tu m'as fait remonter. (Rires)
Niki : (Rires) C'est ça ! Est-ce que je peux me permettre de résumer ça par — comme ça c'est moi qui le dit, c'est pas toi — tant que les bibliothécaires ne font pas les foufous et qu'on reste sur un usage habituel, c'est-à-dire ce qui se fait en gros maintenant quoi, de nos jours, avec des animations, des expositions, du prêt, de la consultation sur place... Tant qu'il n'y a pas de gain d'argent sur ça et tant qu'on n'entache pas l'image de l'éditeur, les risques de contestation sont extrêmement faibles. Dans la théorie ils ne sont pas nuls, mais dans la pratique les risques sont extrêmement faibles. Enfin, moi c'est ma vision. Si tu veux répondre à ça, tu peux.
Florence : Ils sont faibles, je dirais pas extrêmement faibles. (Rires)
Niki : (Rires)
Florence : Mais oui, et j'ajouterais aussi qu'en terme de communication autour de l'événement, alors là le prêt, la consultation, il n'y a pas de communication c'est au sein de la bibli et voilà, c'est les services normaux de la bibliothèque, mais par exemple autour de la communication, autour de l'organisation d'un événement, il faut que la communication elle, ne soit pas à grande échelle et massive. Il faut que ça reste des choses assez confidentielles mais dans le sens viser le public de la bibliothèque quoi. Et puis faire en revanche très très attention aux supports de communication qui sont utilisés, pas utiliser de screens du jeu enfin voilà, il faut une utilisation quand même assez mesurée.
Niki : Ça c'est un point qu'on aurait pu développer plus aussi si on avait eu plus de temps.
Florence : La prochaine fois.
Niki : Oui parce qu'on peut tout à fait proposer un autre live. Il y a plein de choses qu'on a pas abordé : les abandonware, le jeu rétro, enfin bref, plein de sujets hyper intéressants, la communication, etc. Donc tout ça on peut se le garder pour un autre live.
Qu'est-ce qu'on peut conclure d'autres ? Donc dans les faits, le risque est faible. Surtout que comme je disais, il y a quand même beaucoup de choses qui vont dans ce sens-là. Le fait que pour beaucoup d'éditeurs c'est pas un sujet, pour les éditeurs américains par exemple c'est encore moins un sujet, en tout cas là c'est de l'ordre du ressenti et comme je dis, je parle de faisceau d'indice et de tout ce que j'ai pu voir, entendre, lire, échanger avec les parties prenantes. Certains au contraire sont même très très contents de voir leurs jeux en médiathèque et soutiennent ça. Voilà, moi j'ai l'impression qu'en gros on est dans une espèce de statu quo qui peut durer encore un peu, jusqu'au jour où...
Florence : (Rires) Jusqu'au jour où...
Niki : Bah jusqu'au jour où probablement quelqu'un mettra en place, j'imagine, une société de gestion de droit ou un truc comme ça en fait. Ou un système qui réponde ces besoins.
Florence : Ouais... Ce qu'il faut avoir en tête c'est qu'en attendant des jours plus clair, il y a un certain nombre de reco qu'il faut avoir à l'esprit. La règle ça reste quand même d'essayer d'obtenir l'autorisation, et en fait je trouve même que c'est pas vain d'envoyer un email pour obtenir l'autorisation et être en capacité de montrer qu'on a cherché avoir cette autorisation, et qu'on a juste jamais eu de réponse. Parce qu'encore une fois ça vient attester de notre bonne foi. Documenter si on passe par un fournisseur sur catalogue, documenter les échanges qu'on a avec lui, les vérifications qu'on a faites etc, ça c'est pour se « backer » en gros.
Ensuite la deuxième reco, on en a parlé mais je le redis, c'est vraiment veiller ce que le prêt, ou la mise à disposition, ou les animations ne se fassent pas dans des conditions susceptibles de nuire à l'image, ou générer des gains économiques quel qu'il soit, et du coup de ne pas exercer d'activité commerciale autour de ce prêt ou de cette mise disposition.
Et pour la suite, en soi un nouvel encadrement législatif n'est pas nécessairement nécessaire, parce que les règles juridiques, elles existent. Ce qu'il faut c'est faciliter leur mise en œuvre et donc soit trouver une manière plus efficace de collaborer avec les éditeurs, notamment en utilisant les syndicats qu'on a, que ce soit le SNJV (Syndicat National du Jeu Vidéo) ou le SELL (Syndicat des éditeurs de Logiciels de Loisirs), ils peuvent peut-être être consultés sur ces questions là pour essayer d'obtenir des accords propres à l'industrie sur ces utilisations. Du coup à moyen terme, c'est effectivement espérer cette meilleure structuration, soit directement entre les éditeurs, qu'ils trouvent un accord entre eux, ou alors via la création d'un organisme de gestion collective mais ça je pense qu'on en est très très loin.
Niki : Très bien, je pense qu'on va s'arrêter là. Merci pour votre participation dans le chat ! Merci pour vos bonjours, merci pour vos mercis, merci pour vos questions, j'espère qu'on a répondu un petit peu à vos attentes. Le replay sera disponible sur YouTube dans peu de temps. Je ne sais pas si tu veux ajouter un truc Florence, avant mon micro-tunnel de conclusion.
Florence : Non écoute, moi je crois que j'ai tout dit. C'était un plaisir d'en discuter en tous les cas aujourd'hui avec toi et avec vous tous qui nous avez suivi. C'est un sujet qui est passionnant et dont on pourra reparler ultérieurement.
Niki : Oui très bien, voilà tu anticipes ! Merci beaucoup Florence Houisse pour ce décryptage, c'était vraiment fascinant ! Le replay de cet échange sera donc disponible dès que possible sur la chaîne YouTube de l'association Ludistart.
Micro aparté, hors-sujet mais j'en profite tant que j'ai le micro, avec l'asso on est en train de terminer une exposition sur l'art du jeu vidéo indépendant, ce sera une exposition qui sera proposée à prix coûtant, c'est-à-dire que vous ne paierez que l'impression et l'expédition, ça permet d'avoir du contenu à pas cher. Alors je te rassure Florence, on a négocié les droits avec les studios exposés, il n'y a pas de souci, on est dans la légalité. Cette exposition sera disponible sur le site ludistart.fr dans très peu de temps, d'ici ce weekend si tout va bien.
Je vous remercie à tous de nous avoir suivi ! Encore merci beaucoup Florence.
Florence : Avec plaisir !
Niki : Bonne journée tout le monde et à très vite ! Au revoir.
Florence : Au revoir.